50 centimes - 2014
J'ai rencontré Marcel pour la première fois en 2014. Un matin pressé, parmi tant d'autres, il m'autorisait à le photographier. Son gilet en lainage vert sapin, sa chemise violette, ses chevalières entre lesquelles la cigarette se consumait, m'avaient intriguée. N'ayant rien d'autre que mon téléphone à portée de main, je prenais les images rapidement. Je les interrogeais quelques mois plus tard, sous un angle différent.
Marcel a le sens du contact, c'est une personne facile, simple, souriante et se prête à la pause avec une aisance naturelle et spontanée. Il y a environ quinze ans, il a fait l'objet d'un article dans le journal local quand il a repris les toilettes publiques. Un papier fièrement épinglé à l'entrée en raconte l'histoire.
Il se donne au jeu des questions et de vie en vie, il tricote la sienne. Noyée dans la fumée trop dense en un endroit si clos, entre deux ou trois amis, des gueules sorties d'un monde que je ne connais pas, que je ne côtoie pas mais que mes yeux délectent, je me fais discrète et à portée de mots, en écoute. Parfois les voix se font moins claires, alors je m'éclipse et au-dehors des ondes, je capte les murs, les cartes, les petits mots qui parsèment, ci et là, des carreaux délavés. De nouveau, on m'interroge, je m'explique, je questionne, je photographie, tout cela devient un jeu. Un instant je m'arrête, je respire, je tousse. Je ne veux pas montrer mes yeux qui commencent à rougir et à couler, après tout, ici, je m'y suis invitée. Je finis par prendre congé et décide de revenir quelques temps plus tard.
Un après-midi entier et quelques autres heures m'ont permis, de façon consentie, ces bribes d'une vie altérée.
"Parce qu'il valait mieux travailler que d'être à la rue", vous êtes resté, le pas plus las, le regard plus fatigué mais le sourire intact. Je n'ai pas eu l'occasion de vous dire bonsoir une dernière fois.
Aujourd'hui, le vent s'efface.
C'est dans les ombres que je vous ai rencontré. Parmi les odeurs âcres et chaudes des cigarettes. Trop chaudes ou parfois trop froides.
Entre les parois inoxydables des vespasiennes et des éviers aux faïences écaillées, dans une ambiance à la décoration surannée, c'est là que je vous ai rencontré. Entre deux hasards du temps. Entre mil breloques amassées, assis sur des tissus de velours fanés, vous attendiez.
Quinze ans ici. Aujourd'hui le soleil s'efface.
Naïvement, j'osais vous espérer une autre sortie. Encore quelques temps, juste vous lancer un bonsoir, comment va la santé, les affaires et les amis, de ce temps ordinaire que vous m'aviez accordé, histoire d'échanger des banalités, de la vie qui circulait ici bas.
Marcel, puisque je ne connais plus votre nom, je n'en ai retenu que l'essentiel.
Je garde votre sourire, votre histoire, vos coloriages acidulés.
50 centimes, vous disiez.
50 centimes.
J'ai rencontré Marcel pour la première fois en 2014. Un matin pressé, parmi tant d'autres, il m'autorisait à le photographier. Son gilet en lainage vert sapin, sa chemise violette, ses chevalières entre lesquelles la cigarette se consumait, m'avaient intriguée. N'ayant rien d'autre que mon téléphone à portée de main, je prenais les images rapidement. Je les interrogeais quelques mois plus tard, sous un angle différent.
Marcel a le sens du contact, c'est une personne facile, simple, souriante et se prête à la pause avec une aisance naturelle et spontanée. Il y a environ quinze ans, il a fait l'objet d'un article dans le journal local quand il a repris les toilettes publiques. Un papier fièrement épinglé à l'entrée en raconte l'histoire.
Il se donne au jeu des questions et de vie en vie, il tricote la sienne. Noyée dans la fumée trop dense en un endroit si clos, entre deux ou trois amis, des gueules sorties d'un monde que je ne connais pas, que je ne côtoie pas mais que mes yeux délectent, je me fais discrète et à portée de mots, en écoute. Parfois les voix se font moins claires, alors je m'éclipse et au-dehors des ondes, je capte les murs, les cartes, les petits mots qui parsèment, ci et là, des carreaux délavés. De nouveau, on m'interroge, je m'explique, je questionne, je photographie, tout cela devient un jeu. Un instant je m'arrête, je respire, je tousse. Je ne veux pas montrer mes yeux qui commencent à rougir et à couler, après tout, ici, je m'y suis invitée. Je finis par prendre congé et décide de revenir quelques temps plus tard.
Un après-midi entier et quelques autres heures m'ont permis, de façon consentie, ces bribes d'une vie altérée.
"Parce qu'il valait mieux travailler que d'être à la rue", vous êtes resté, le pas plus las, le regard plus fatigué mais le sourire intact. Je n'ai pas eu l'occasion de vous dire bonsoir une dernière fois.
Aujourd'hui, le vent s'efface.
C'est dans les ombres que je vous ai rencontré. Parmi les odeurs âcres et chaudes des cigarettes. Trop chaudes ou parfois trop froides.
Entre les parois inoxydables des vespasiennes et des éviers aux faïences écaillées, dans une ambiance à la décoration surannée, c'est là que je vous ai rencontré. Entre deux hasards du temps. Entre mil breloques amassées, assis sur des tissus de velours fanés, vous attendiez.
Quinze ans ici. Aujourd'hui le soleil s'efface.
Naïvement, j'osais vous espérer une autre sortie. Encore quelques temps, juste vous lancer un bonsoir, comment va la santé, les affaires et les amis, de ce temps ordinaire que vous m'aviez accordé, histoire d'échanger des banalités, de la vie qui circulait ici bas.
Marcel, puisque je ne connais plus votre nom, je n'en ai retenu que l'essentiel.
Je garde votre sourire, votre histoire, vos coloriages acidulés.
50 centimes, vous disiez.
50 centimes.
A ce jour, personne n'a pris la suite de Marcel qui aimait à penser que ce lieu, qui lui avait donné une seconde chance, continu d'exister et soit entretenu d'une façon tout aussi correcte que l'investissement dont il avait fait preuve. Les pancartes accrochées sur les grilles indiquant "toilettes" ont été retirées et le lieu reste depuis fermé.